Nzoy Commission
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Transcription de la conférence de presse

Conférence de presse

20.11.2023

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Le présent document est une transcription des enregistrements audio de la conférence de presse. Certaines interventions ont été traduites de l'allemand pour la version française.

 

Au panel:
Maïna Aerni, juriste, membre de la Commission (modération)
Evelyn Wilhelm, plaignante et sœur de Roger Nzoy Wilhelm
Me Ludovic Tirelli, avocat
Brigitte Lembwadio, avocate, membre de la Commission
Philip Stolkin, avocat, membre de la Commission
David Mühlemann, juriste, membre de la Commission
Yosina Koster, juriste, membre de la Commission
Dr Martin Hermann, chirurgien, membre de la Commission
Prof. ém. Udo Rauchfleisch, psychologue, membre de la Commission
Claske Dijkema, sociologue, membre de la Commission

Présent par Zoom:
Elio Panese, Border Forensics

Maïna Aerni, juriste, membre de la Commission
Audio 00:06:49.6   Mesdames et Messieurs, bienvenue à la conférence de presse de la Commission indépendante chargée de faire la lumière sur la mort de Roger Nzoy Wilhelm. Je m’appelle Maïna Aerni, je suis juriste et membre de la commission.

Roger Nzoy Wilhelm a été abattu le 30 octobre 2021 par un agent de la police régionale à la gare de Morges en présence d’autres policiers et policières. Il est resté allongé sur le sol pendant plusieurs minutes sans qu’on lui prête secours. La mort de Roger Nzoy Wilhelm s’inscrit dans une série d’incidents de violence d’État, massive et mortelle dans certains cas, à l’encontre des personnes racisées en Suisse. Dans le seul canton de Vaud, Hervé Mandundu, Mike Ben Peter et Lamin Fatty sont morts ces dernières années suite à des interventions policières. Dans chacune de ces affaires, les agents de police impliqués n’ont pas été condamnés. C’est pourquoi une commission indépendante d’expertes et d’experts s’est constituée pour faire la lumière sur les circonstances de la mort de Roger Nzoy Wilhelm.

Le travail de la commission est devenu urgent. Le Ministère public central vaudois, chargé de l’affaire Roger Nzoy Wilhelm, entend rendre une ordonnance de classement respectivement une ordonnance de non-entrée en matière pour homicide et omission de prêter secours à l’encontre des agents de police impliqués. Le Ministère public est compétent pour instruire les affaires de violence policière, alors qu’une forte interdépendance existe entre ces deux institutions. Le législateur n’a pas créé d’organe indépendant pour les cas de violence policière, d’où la nécessité urgente d’un contrôle par la société civile. Nous vous présentons aujourd’hui les résultats provisoires de notre enquête indépendante sur le cas de Roger Nzoy Wilhelm, menée en collaboration avec Border Forensics.

Il s’agit d’un film qui reconstitue très précisément le déroulement des faits, seconde par seconde, et qui met ainsi en lumière des faits et des preuves qui étaient jusqu’à présent passés inaperçus. Elio Panese de Border Forensics présentera ce film. Ensuite, Me Ludovic Tirelli, avocat des plaignants, Martin Herrmann, chirurgien, et Udo Rauchfleisch, psychologue clinicien, membres de la commission, commenteront le travail de Border Forensics. Enfin, Me Tirelli et Evelyn Wilhelm, sœur de Nzoy et plaignante, ainsi que les membres de la Commission présents et présentes répondront volontiers à vos questions. Certains membres de la Commission se tiendront également à votre disposition pour des interviews individuels.

Je vais céder la parole à Elio Panese, mais juste avant je vous prie juste de ne pas prendre de photos ou de vidéos de la vidéo que vous allez voir, pour des questions légales, je vous demande également de mettre votre téléphone en mode avion, si c’est possible, et je me permets également de vous faire un trigger warning concernant la vidéo qui contient des images qui sont très violentes. Merci.

Elio Panese, Border Forensics
00:10:31.5    Merci beaucoup, et excusez-moi de ne pas pouvoir être physiquement présent avec vous aujourd’hui. Je m’appelle Elio Panese, je suis chercheur pour Border Forensics. Pour présenter rapidement: Border Forensics est une agence de recherche et d’investigation basée à Genève. Nous développons des méthodes de pointe en matière d’investigation visuelle, géospatiale et open-source afin de documenter différentes formes de violences liées à l’existence et au contrôle des frontières, qu’elles soient étatiques ou sociales. En collaboration avec les personnes affectées ainsi que des organisations de la société civile, nous produisons des rapports, des cartes, des reconstitutions vidéo et différentes visualisations 3D afin de soutenir leurs demandes de vérité et de justice.

On travaille en collaboration avec des personnes affectées ainsi que des organisations de la société civile et on produit des rapports, des cartes, des vidéos et différentes visualisations 3D, afin de soutenir la demande de vérité et de justice des familles des victimes et des représentants de la société civile. Ces dernières années – vous pouvez le voir sur notre site d’internet – nos enquêtes se sont concentrées sur des cas de violence dans des zones frontières comme les Alpes, la Méditerranée ou le Sahel, mais plus récemment, nous développons de nouveaux terrains d’enquête en Suisse, où nous sommes basés. Dans ce contexte et à la demande de la famille de Roger Nzoy Wilhelm, nous travaillons depuis plusieurs mois maintenant à la reconstitution précise des événements du 30 août 2021, qui ont mené à la mort de Roger Nzoy Wilhelm, et nous visons à analyser précisément les agissements de toutes les personnes impliquées. Aujourd’hui, notre enquête est toujours en cours. Mais nous rendons public certains éléments d’analyse préliminaires, sous la forme d’une vidéo, que vous allez voir et qui est complétée d’un rapport qui détaille nos méthodes et nos résultats et que vous avez probablement entre les mains. Ces éléments ont également été transmis au Ministère public du canton de Vaud.

00:12:10.3    Donc la vidéo que vous allez visionner dans un instant, concerne uniquement une partie des événements du 30 août 2021, qui se passe entre 17:59 et 2 secondes, au moment où Roger Nzoy Wilhelm tombe au sol, après le troisième et dernier tir, et 18:07 et 45 secondes, qui marque la fin des données vidéo et audio que comporte le dossier auxquelles la famille de Roger Nzoy Wilhelm a eu accès. Encore une fois, notre enquête est toujours en cours, cette vidéo n’en est qu’une partie, et le résultat final que nous publierons ultérieurement ira au-delà de ce que nous présentons aujourd’hui. Il traitera des événements de manière détaillée, précise et vérifiable dans leur entièreté. Je vous propose maintenant qu’on regarde le film.

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(Transcription de la vidéo)

LA MORT DE ROGER ‘NZOY’ WILHELM

Une contre-enquête de Border Forensics

Éléments d’analyse préliminaires, novembre 2023

À la demande de la famille de Roger ‘Nzoy’ Wilhelm, et en collaboration avec une Commission d’enquête indépendante, Border Forensics mène une enquête afin de reconstituer les faits ayant mené à sa mort le 30 août 2021.

Alors que notre enquête est toujours en cours, nous présentons une analyse préliminaire des événements survenus après les coups de feu tirés par un agent de police, lorsque Roger ‘Nzoy’ Wilhelm est étendu sur le sol.

En regroupant les vidéos des témoins et leurs métadonnées, les enregistrements partiels des communications de la police qui nous ont été fournis, ainsi que les procès-verbaux des auditions des agents de police impliqués et des témoins, Border Forensics a reconstitué le déroulement des faits chronologiquement et a analysé les agissements des personnes impliquées.

Nous démontrons que les agents de police n’ont entrepris aucune mesure de sauvetage ou de réanimation et ont privilégié des manipulations de sécurité alors que Roger ‘Nzoy’ Wilhelm était au sol, blessé par balle, sans qu’il n’apparaisse constituer une menace.

ATTENTION: cette vidéo contient des images pouvant heurter la sensibilité.

00:14:36.3   

Gare de Morges. Il est 17:59:02. Roger Nzoy Wilhelm reçoit un troisième coup de feu. Il s’écroule.

Quatre agents de police se trouvent sur le quai. PO4 est l’auteur des tirs. PO1 et PO2 ont été les premiers à arriver sur place. PO3 est en contact radio avec la centrale de police.

[PO3] «Coups de feu, coups de feu, rapidement une ambulance!»

[Centrale] «Jorat-Mixte, on envoie tout ça à la gare de Morges?»

[PO3] «Voie 4, voie 4.»

[Centrale] «Bien compris.»

PO4 se met en retrait de la scène.

À 17:59:43, un passager filme la scène depuis le train. Au même moment, PO3 est en communication radio.

[PO3] «L’homme a toujours le couteau, je répète, l’homme a toujours le couteau, il est au sol. Conscient.»

PO3 continue sa communication radio sur deux canaux simultanément. Pour plus de compréhension, nous allons jouer ces enregistrements l’un après l’autre.

[Centrale] «Pour 36228, c’est encore une menace? Réponds.»

[PO3] «Non, je ne crois pas. Merci.»

[Centrale] Pour les collègues à Morges de Jorat-Mixte, ambulance et SMUR roulent, on peut avoir quelques infos?»

(PO3) «Je n’ai pas trop plus d’infos. Un homme de couleur. Il est au sol.»

À l’étage supérieur du train, un passager démarre une vidéo. PO3 continue sa conversation radio.

[Centrale] «Compris. C’est vous qui avez fait feu?»

[PO3] Oui, c’est la PRM. [Police Région Morges]

[Centrale] Bien compris.

[Centrale] 36228, réponds.

[PO3] Ouais, attends, (???) deux secondes.

PO3 semble continuer de communiquer sur la radio. Mais l’enregistrement ne figure pas dans le dossier du Ministère public auquel la famille de Roger ‘Nzoy’ Wilhelm a eu accès. Dans les minutes qui suivent, PO1, PO2 et PO3 vont effectuer différentes manipulations de sécurité sur Nzoy. Ils vont retirer ses mains de sous son buste et le menotter dans le dos. Aucun des agents ne contrôle son état de santé ni ne tente de communiquer avec lui. 

[Centrale] «Jorat-Mixte pour 6-89.

[PO3] ???’??. L’individu est sur le sol. Il est menotté. Je répète, il est menotté.»

[Centrale] «???’?? 201, je t’appelle par fil.»

[Centrale] «De Jorat-Mixte pour la gare, individu au sol, menotté. Juste?»

[PO2] Oui.

À 18:01:30, soit un peu plus de deux minutes 30 après le dernier tir, on aperçoit un mouvement au niveau des bras de Nzoy. Nous zoomons dans l’image pour analyser ce mouvement.

Selon une analyse médicale indépendante de ces images, des mouvements respiratoires de la personne allongée semblent visibles.

Dans son audition, le soir des événements, PO2 déclare qu’au moment du menottage, il ne parlait pas, mais respirait.

PO2 dira à nouveau dans une deuxième audition en juin 2022: «J’ai vu un mouvement de respiration, c’est-à-dire un mouvement de sa cage thoracique.

Reprenons le déroulement des événements.

PO1 s’approche de Roger ‘Nzoy’ Wilhelm et le positionne sur le côté. Dans son audition, il explique l’avoir palpé et avoir fait une fouille de sécurité.

PO3 se dirige à son tour vers Nzoy et dégage avec son pied un objet situé sous son buste.

PO1 déclare avoir soulevé le côté gauche de Roger ‘Nzoy’ Wilhelm «afin que [PO3] saisisse et sécurise l’arme blanche».

Dans une audition en juin 2022, PO1 explique: «Je pensais seulement au fait qu’il devait être contrôlé pour que nous soyons en sécurité.»

Cette manipulation des agents pouvant s’apparenter à un geste de premiers secours semble plutôt avoir été opéré pour des raisons de sécurité.

L’analyse médicale indépendante précise, quant à elle, que les agents «n’ont eu que tardivement la réaction de le mettre en position latérale de sécurité». – «Potentiellement, la capacité respiratoire a ainsi pu être entravée, d’autant que les menottes dans le dos ont été maintenues.»

PO3 a ensuite une communication radio, mais l’enregistrement ne figure pas dans le dossier du Ministère public auquel la famille de Roger ‘Nzoy’ Wilhelm a eu accès.

00:21:00.0

Dans les minutes qui suivent, Roger ‘Nzoy’ Wilhelm bouge à trois reprises. Nous zoomons dans l’image pour analyser ces mouvements: à 18:02:20; à 18:02:35; à 18:02:54.

Ce quatrième mouvement de Nzoy semble attirer l’attention des agents PO3 et PO1, qui tiennent la distance. PO3 s’approche. Il bouge le corps de Nzoy avec ses pieds.

À 18:03:29, PO1 se penche vers Nzoy tout en restant à distance. Dans son audition le soir-même, il raconte: «J’ai entendu un râle, mais je n’ai pas eu le temps de vérifier son état de santé car le médecin est arrivé et s’en est chargé de suite.» À ce moment précis, cela fait 4 minutes 30 que Nzoy a reçu un troisième coup de feu.

Conformément à la déclaration de PO1, à 18:03:40, l’image vidéo montre une personne en trottinette arrivant sur les lieux. Il est infirmier et était témoin de la scène depuis le train arrêté à côté. Dans son témoignage, il déclare:

«[PO3] m’a fait un signe de rester à distance. Je me suis identifié et il m’a dit que la scène n’était pas sécurisée. Moi, j’avais vu que la victime était en arrêt cardio-respiratoire. À 18:03:50, un cinquième mouvement de Nzoy, sur lequel nous zoomons, est visible à l’image.

PO1, PO3 et l’infirmier positionnent ensuite Roger ‘Nzoy’ Wilhelm sur le dos.

La vidéo coupe, et pendant un laps de temps estimé à environ une minute, nous n’avons aucune donnée audio ou vidéo.

Lorsque le train repart, à environ 18:05:10, le massage cardiaque est en cours.

À 18:05:48, alors que l’infirmier effectue un massage cardiaque, PO3 démenotte Roger ‘Nzoy’ Wilhelm.

Dans son audition, le soir des événements, PO3 déclare: «J’ai fait pendant le massage cardiaque de l’infirmier une fouille de sécurité. Comme il n’y avait pas d’autre objet, j’ai décidé de le démenotter. »

L’infirmier raconte la même scène.

[L’infirmier] «[PO3] a compris que la situation était grave et a demandé s’il fallait enlever les menottes. Je lui ai dit de se débrouiller car je ne voulais pas prendre cette décision. [PO3] l’a démenotté.»

PO3 prend ensuite un habit, et appuie sur la plaie de Nzoy. Dans son audition, il explique avoir «utilisé la chemise de l’individu pour faire une occlusion». Le massage cardiaque continue pendant plusieurs minutes.

Puis la vidéo coupe à 18 heures 7 minutes et 45 secondes.

Ces éléments d’analyse préliminaires montrent que pendant les 6 minutes 30 écoulées entre le 3ème tir et les premiers soins prodigués par un infirmier témoin de la scène, Roger ‘Nzoy’ Wilhelm, étendu sur le sol et blessé par balle, a effectué différents mouvements respiratoires.

Malgré le fait que les 4 agents aient suivi une formation de premier secours BLS-AED, ceux-ci ont priorité des mesures de sécurité et n’ont entrepris aucune mesure de sauvetage et de réanimation jusqu’ä l’arrivée de l’infirmier témoin de la scène.

Une enquête concluante sur l’ensemble des événements ayant mené à la mort de Roger ‘Nzoy’ Wilhelm requiert que le Ministère public du canton de Vaud verse au dossier tous les moyens de preuve utiles et manquants.

Nous continuions notre contre-enquête pour soutenir la demande de vérité et de justice de la famille de Nzoy.

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Maître Ludovic Tirelli, avocat de la famille de Nzoy

00:27:22.0   

Mesdames et Messieurs, dans cette affaire, il y a deux volets.

Le premier volet, c’est celui de l’homicide, dont le Ministère public nous dit maintenant qu’il veut le classer.

Le deuxième volet, c’est celui de I’omission de prêter secours sur laquelle le Ministère public nous annonce qu’il ne veut même pas enquêter.

La vidéo que nous venons de voir concerne exclusivement ce second volet. Et eIle fait froid dans le dos. Parce que l’enquête de Border Forensics révèle en effet l’inaction des forces de I’ordre. L’inaction en termes de secours alors qu’un homme vient d’être abattu par les forces de l’ordre.

En droit, Mesdames et Messieurs, l’article 128 du code pénal incrimine – et je le cite – «quiconque ne prête pas secours à une personne qu’il a blessée ou à une personne en danger de mort imminent, alors que l’on pouvait raisonnablement l’exiger de lui, étant donné les circonstances».

Tous les éléments que vous voyez dans la vidéo se trouvent dans le dossier du Ministère public.

Malgré ces éléments le Ministère public ne veut pas entrer en matière sur l’omission de prêter secours.

En clair, cela veut dire qu’il lui semble manifeste que l’infraction d’omission de prêter secours n’est pas réalisée. Qu’il n’y a aucun soupçon suffisant d’une omission de prêter secours.

Le travail de Border Forensics révèle tout le contraire. Et ce travail a le mérite d’assembler chronologiquement, dans un seul document audiovisuel, les différentes vidéos et bandes son qui sont contenues de manière éparse dans le dossier du Ministère public.

00:29:20.0    Que le comportement des policiers puisse constituer une omission de prêter secours, au nom du côté de la famille, nous I’avons écrit en long et en large dans les courriers adressés au Ministère public. Malgré ceci le Ministère public ne veut toujours pas enquêter.

Les mots que nous avons écrits n’ont pas été compris, assurément. Mais quelqu’un a dit un jour qu’une image vaut mille mots. Donc aujourd’hui nous passons des mots aux images. Et ça tombe bien, parce que dans le dossier des images, eh bien, il y en a tout plein. Mais c’est vrai que ces images, elles ne sont pas ordonnées dans le dossier, elles sont éparpillées. Il faut les ouvrir les unes après les autres, il faut les organiser chronologiquement pour avoir une vision d’ensemble: des images vidéo, des bandes audio, et il faut préciser que pour ces bandes audio, nous ne les avons pas toutes, comme le travail de Border Forensics le révèle.

Désormais Border Forensics a ordonné toutes ces preuves qui figurent dans le dossier pour faciliter la tâche du Ministère public. Et cette vidéo a été envoyée hier au Ministère public qui la reçoit aujourd’hui. Cette vidéo a été adressée au ministère public central, avec d’autres réquisitions – ce n’est pas la seule réquisition de preuves –, qui tendent à démontrer que la famille de Nzoy a le droit à une enquête effective.

00:31:05.1    Border Forensics, comme vous l’avez entendu de la part de M. Panese, continue ce travail sur les autres éléments du dossier et, en particulier, sur les circonstances de I’homicide en tant que tel. Car, comme vous le savez, la légitime défense et sa proportionnalité s’apprécie également en fonction des circonstances.

Le travail de Border Forensics, le soutien apporté par I’expertise de tous les membres de cette commission indépendante, nous permet désormais et précisément d’y voir et d’y entendre clair sur ces circonstances, dont I’analyse est essentielle, vous I’aurez compris, pour résoudre les questions de droit qui se posent. Et cela est une excellente nouvelle pour la justice.

Maïna Aerni
00:31:59.6    Merci, Maître Tirelli. Et on va passer à Monsieur Martin Herrmann.

Martin Herrmann, spécialiste FMH en Chirurgie générale, membre de la Commission
00:32:10.0    Merci. Il faut dire que les 4 agents, présents sur place, vous l’avez vu, n’ont entrepris aucune mesure de sauvetage et de réanimation durant au moins 4 min 30, alors que la personne étendue a effectué des mouvements respiratoires et du tronc, sans constituer de toute évidence aucune menace. Ils n’ont pas effectué les mesures de premiers secours dans des délais nécessaires, c’est-à-dire ABC – Airway, Breath, Circulation – donc libérer les voies respiratoires, en l’occurrence le mettre dans une position qui ne soit pas à plat ventre, assurer qu’il respire, ils l’ont vu, et ensuite, donner un support circulatoire sous forme de massage cardiaque. Et ceci alors que plus tard, au moment de mettre les menottes, c’est-à-dire un peu plus de deux minutes après l’effondrement de Roger, ils ont pu constater de toute évidence qu’il n’y avait aucun mouvement de défense, et en même temps, ils ont constaté qu’il était vivant. On sait que la perte de conscience est provoquée par un manque d’oxygène du cerveau, or après environ 5 minutes de manque d’oxygène du cerveau surviennent les premiers dégâts irréversibles. Il aurait donc été important qu’ils puissent entreprendre ne serait-ce qu’une réanimation basique au lieu de le menotter, sans aucun risque pour eux-mêmes.

Udo Rauchfleisch, Prof. ém. en Psychologie clinique, membre de la Commission
00:34:38.8    J'ai examiné attentivement le dossier et les procès-verbaux d'interrogatoire, et, concernant l'état psychique de Roger Wilhelm, il en ressort ce qui suit:

Il était clair pour toutes les personnes interrogées, en raison du comportement confus et anxieux de Roger Nzoy Wilhelm, qu'il était psychiquement malade. Toutes les personnes le confirment dans leurs déclarations. Il était confus, il était anxieux, et ce qui est intéressant, c'est qu'il a parlé calmement avec un mécanicien qui se trouvait sur place. Il n'était pas du tout agressif et était apparemment très apte à la concertation. Tout a dégénéré au moment où les policiers sont arrivés, d'abord deux, puis deux autres, et ont formé un demi-cercle relativement étroit autour de lui – on l'a également vu sur la vidéo – et l'ont approché de relativement près.

Pour le contact avec les malades psychiques en général, nous savons que l'une des mesures les plus importantes, quasiment une règle de base, est d'éviter absolument la confrontation avec plusieurs personnes. Et cela ne vaut pas seulement pour le personnel psychiatrique, mais c'est également connu dans les milieux policiers, j'ai lu plusieurs études, également pour la formation des policiers – que l'une des mesures les plus importantes, quasiment une règle de base, est d'éviter absolument la confrontation avec plusieurs personnes. L'important serait aussi qu'une personne s'approche de la personne malade psychiquement, lui parle calmement, la rassure, comme l'a fait le mécanicien au début. Toute la situation n'aurait alors pas dégénéré. Dans l'une des publications, une revue destinée à la police, un auteur a dit explicitement : «Distance, distance et encore distance.» Donc il faut absolument maintenir la distance, et qu’une seule personne s'approche de la personne; dans certaines publications, une personne du sexe opposé, donc ici cela aurait pu être la policière. Mais dans tous les cas il faut que ce soit une personne seule et qui entame un dialogue. Ainsi l'escalade aurait pu être évitée avec la plus grande probabilité.

Brigitte Lembwadio Kanyama, avocate, membre de la Commission
00:37:24.8    Je veux vous parler plutôt de la contextualisation de cette affaire en Romandie. Comme vous le savez, notre pays ne connaît pas les statistiques ethniques, comme cela se pratique aux États-Unis par exemple. Ainsi, ce sont les couvertures médiatiques et quelques données des associations qui permettent de parvenir à une conclusion, soit depuis 10 ans environ, la Suisse romande (et en particulier le canton de Vaud) connaît plusieurs décès de personnes à la suite d’interventions des forces de police. Et il apparaît que dans près de 100 % des cas, les personnes décédées sont racisées.

Dans tous les cas connus, les avocats des parties plaignantes rapportent des enquêtes menées sans conviction par les autorités judiciaires et les autorités compétentes et des propositions de preuves rejetées arbitrairement. Comme si finalement l’allégorique balance de la justice était d’emblée penchée d’une certaine manière.

Si cela s’avère exact, il y a lieu sérieusement de s’en inquiéter sachant que les précautions d’usage et le principe de la proportionnalité prônés par les règlements de police sont valables pour toutes les interventions, quel que soit l’origine ou même quels que soit l’antécédent de la personne concernée.

C’est dans ce contexte que les membres de cette Commission ont trouvé urgent et nécessaire que la mort de Roger Wilhelm ne soit pas un énième cas où la justice est faite d’avance et sans se que l’on se préoccupe d’éléments de faits qui permettent de diriger l’enquête et les conclusions autrement.

Philip Stolkin, avocat, membre de la Commission (traduit de l’allemand)
00:39:20.0   
Merci beaucoup, chère collègue. La justice, Mesdames et Messieurs, est peut-être aveugle. Mais elle ne doit jamais être paresseuse. Dans un État de droit, Mesdames et Messieurs, il faut mener des enquêtes qui soient indépendantes, neutres et complètes. Indépendamment du fait qu'il s'agisse d'une personne noire, d'une personne blanche ou d'une personne jaune. Nous partons du principe que tel ne sera pas le cas ici. Nous partons du principe que, quels que soient les éléments de preuve, le Ministère public, malgré une séparation claire des pouvoirs, classera la procédure bien trop tôt. Il s'agit d'un être humain qui est mort. Un être humain est mort ! Et pourtant, malgré des indices clairs, cette procédure serait classée. C'est inadmissible dans un État de droit. La justice est peut-être aveugle. Mais pas paresseuse. Et nous demandons à la justice vaudoise de prendre le travail à bras le corps, en particulier lorsque cela concerne une personne d'une autre couleur de peau. Et nous ne tolérerons pas que cette affaire soit classée trop rapidement. J'ai conclu, merci.

David Mühlemann, juriste, membre de la Commission (traduit de l’allemand)
00:40:55.7   
La question se pose également de savoir à quel point la Suisse prend au sérieux les droits de l'homme. Pour un État de droit, il n'y a rien de pire que de voir une personne ayant besoin d'assistance mourir entre ses mains. C'est pourquoi la Cour européenne des droits de l'homme exige dans de tels cas une enquête particulièrement minutieuse, objective et indépendante de tous les éléments pertinents. Ce qui est en jeu n'est rien de moins que la confiance de la société civile dans le monopole de l'État en matière de violence. Si le Ministère public veut classer la procédure dans le cas de Roger Nzoy à ce stade, il s'agit d'une violation claire de ce devoir d'enquête de l'Etat et du droit à la vie selon l'article 2 de la Convention européenne des droits humains. La Suisse a déjà été condamnée à plusieurs reprises pour ne pas avoir mené une enquête correcte dans de tels cas. Aujourd'hui, nous sommes ici pour dire que nous ne pouvons et ne voulons pas cela se reproduise. Merci.

Maïna Aerni
00:42:17.4 Merci à toutes et à tous, nous allons passer aux questions et réponses.

00:42:45.2    Jean-François Schwab pour l’agence de presse suisse Keystone-ATS. Selon nos sources, le Ministère public a dit je crois le 10 octobre que vous aviez un mois pour amener des nouvelles preuves, ça en revient donc à aujourd’hui. Pouvez-vous vraiment nous confirmer que la vidéo est arrivée dans ce délai et qu’on a vraiment là, de ce qu’on a vu, une grande preuve nouvelle, et deuxième question: sur l’homicide vous nous affirmez que ça risque d’être classé – ça sort d’où? Vous pouvez l’affirmer ou c’est une hypothèse pour mettre la pression et cetera?

00:43:22.0    (Me Tirelli): Pour vous répondre: non, on n’est pas du genre à émettre des hypothèses. Ce que l’on dit, c’est ce que l’on peut prouver. Et ce que l’on peut prouver, pour répondre à votre question, c’est que nous avons reçu un courrier du Ministère public il y a plusieurs semaines dans lequel le Ministère public nous explique que, s’agissant de l’enquête pour le meurtre, qui était ouverte, eh ben, il entend la classer. C’est très clair. Il a annoncé la couleur. Et comme nous avions aussi demandé que l’enquête soit étendue à l’infraction d’omission de prêter secours, qui n’avait jamais fait l’objet d’une ouverture instruction, qui n’avait jamais été investiguée, 00:44:05.6 ???? les preuves que vous venez de voir et qui sont au dossier, eh ben, le Ministère public nous a dit aussi: «Et je n’entrerai pas en matière sur votre requête d’enquête pour omission de prêter secours.» Et dans ce courrier-là, il nous a imparti un délai qui arrive à échéance aujourd’hui, pour formuler toute réquisition de preuves utile à démontrer le bien-fondé de notre position. C’est pourquoi, hier, nous avons adressé au Ministère public un courrier qui contient diverses réquisitions. Des réquisitions qui sont en lien avec la problématique de l’homicide proprement dit, des réquisitions qui sont en lien avec des expertises que nous souhaiterions voir figurer au dossier, puisque certains documents dont on dit qu’ils tiennent lieu d’expertise, ont été établi par des experts dont on pouvait se questionner, s’agissant à leur indépendance, et puis nous avons bien évidemment adressé cette vidéo, qui est finalement la synthèse de pièces qui sont déjà au dossier pour démontrer au Ministère public qu’il est inconcevable, en l’état du dossier, que l’on puisse ne pas entrer en matière. Est-ce que j’ai répondu à votre question?

00:45:25.0    Bonjour. Felicie Potter de SRF Télévision, correspondante en Suisse romande. Je ne suis pas juriste, mais si j’ai bien compris, c’est pour la première partie: Une raison évoquée par le Ministère public pourrait être la légitime défense. Est-ce que pour la deuxième partie, l’omission de prêter secours, il y a une sorte de chose qui pourrait justifier juridiquement l’omission de prêter secours?

00:45:56.6    (Me Tirelli) L’omission de prêter secours, c’est le fait de ne pas prêter assistance à une personne que l’on a blessé gravement, c’est le fait de ne pas prêter secours à une personne qui est en danger de mort imminent, et vous avez vu sur ces images, je veux dire, on a une personne qui vient de recevoir trois coups de feu de la part de la police, elle gîte au sol. On peut partir de l’idée que ces coups de feu à un moment donné. On peut partir de l’idée aussi qu’un coup de feu est de nature à générer un danger de mort imminent, et l’on voit aussi que, ben, rien ne se passe, en fait, du côté des policiers. Comme le disait le docteur Herrmann tout à l’heure, il y a des gestes basiques qui devraient être mis en oeuvre, s’assurer que les voies respiratoires soient dégagées, s’assurer que le pouls bat, s’assurer du fait que la personne est consciente, s’assurer du fait que la personne a de la sensibilité. Ce sont toutes ces choses basiques que vous apprenez lorsque vous passez votre permis de conduire. Et ce sont ces choses que les forces de l’ordres, apprennent de manière accrue dans le cadre de leur formation, mais rien de ça n’est fait. Alors j’imagine que la seule chose qui peut nous être opposée, c’est que, on entend, et on a été totalement transparent ici, il y a, dès que les coups de feu ont été tirés, cette information qui est donnée dur la radio: «Coups de feu, coups de feu, une ambulance, rapidement.» Voilà. Est-ce que Ministère public nous dira que parce qu’une ambulance a été appelée, eh ben, c’est suffisant, on a fait ce qui était nécessaire – permettez-moi d’en douter et même de dire que pour moi, c’est absolument impossible.

00:47:39.8    Bonjour. Antonio Fumagalli de la NZZ. J’ai deux questions. La première: Vous avez dit que vous n’alliez pas tolérer que cette affaire soit classée. C’est M. Stolkin qui l’a dit. Juridiquement, si ça devait être le cas, est-ce qu’il vous reste quelque chose, est-ce que vous pouvez faire opposition à une décision comme ça? La deuxième question: on a rarement le droit à voir autant de monde à une conférence de presse, vous avez fait un travail assez exigeant. Comment est-ce que vous vous financez? Est-ce que vous travaillez tous bénévolement, ou est-ce que, je ne sais pas, vous avez fondé une association?

00:48:23.5    (Philip Stolkin, traduit de l’allemand) Il s'agit d'une commission indépendante, composée de ce que l'on pourrait appeler des citoyens volontaires, qui ont effectivement pris connaissance de cette affaire, et qui ont également – et avec une grande inquiétude – dû prendre connaissance du cas de Mike Ben Peter. À Zurich, nous connaissons des cas comparables, avec Ali S. : 17 coups de feu dans le dos – et c'est de la légitime défense. C'est manifestement une tendance en Suisse. Mike Ben Peter – un procureur qui plaide l'acquittement. Du point de vue de l'État de droit, nous, tous ceux qui sont ici, ne pouvons pas tolérer que des coudées différentes soient appliquées, et tous ceux qui sont ici se sont mis volontairement à disposition pour défendre l'État de droit : pour que des enquêtes complètes soient menées dans tous les cas. Pour – comme l'a si bien dit ma collègue Lembwadio – qu'il existe des statistiques qui nous indiquent si le soupçon pressant et terrible que la couleur de peau puisse jouer un rôle dans les enquêtes pénales s’avère exact ou pas. Et nous avons toutes les raisons de penser que c'est le cas. En tant que citoyens inquiets qui siègent ici et en tant que spécialistes, nous nous sommes mis à disposition pour examiner cela de près, et nous soutiendrons par solidarité la famille et aussi l'avocat très courageux, avec son analyse précise et bonne du droit. La deuxième chose : Bien sûr, on va aussi faire appel par la voie de l'État de droit  – et là, nous avons un très bon spécialiste à nos côtés en la personne de Me Tirelli – et je pense que cela ne s'arrêtera pas avant le Jugement dernier. Même si Strasbourg ne nous donne pas raison, nous ne nous arrêterons pas là. Il ne faut pas et il ne peut pas être question que lorsque la police est impliquée, la première ligne de défense commence avec le parquet. Et nous soupçonnons fortement que c'est d'autant plus le cas lorsqu'il s'agit de personnes racisées. Monsieur Tirelli ?

00:51:05.1    (Me Tirelli) Vous avez bien répondu, mais je peux juste préciser, effectivement. Dès lors qu’on vous dit qu’on va aller jusqu’au bout pour que la justice soit faite, et la justice qui doit être faite, ce n’est pas obtenir des condamnations à tout va. Pour l’instant, le principe de la présomption d’innocence est absolument cardinal. Pour nous, le fait que justice soit faite, c’est d’y voir clair dans ce dossier. C’est qu’on fasse le travail pour comprendre exactement ce qui s’est passé, et pour que une autorité judiciaire, comme le dit Strasbourg – Strasbourg dit: dans les affaires dans lesquelles on a un agent de l’État qui cause une infraction, eh bien, il y a un droit à une enquête effective. Il n’y a non seulement un droit à une enquête effective, mais il y a un droit à une procédure judiciaire. À un moment donné, il faut se retrouver devant un tribunal, pour que ouvertement toutes les questions soient débattues, on pose à la légitime défense. Peut-être s’agit-il d’un cas de légitime défense. Mais encore faut-il analyser toutes les circonstances du cas d’espèce, encore faut-il en débattre devant un tribunal, ouvertement pour que tout le monde voie comment la justice est rendue. En l’occurrence, ce n’est pas ce qui est fait. Donc si effectivement l’affaire devait être classée ou si effectivement le Ministère public devait décider de ne pas entrer en matière sur al question de l’omission de prêter secours, alors oui, il y a des voies de recours, et ces voies de recours on va les utiliser. Parce que le principe d’une voie de recours, c’est de partir du l’idée que tout le monde se trompe, on fait tous des erreurs, il n’y a pas un jour où nous ne fassions pas une erreur. Eh ben, les procureurs ne sont pas à l’abri des erreurs, les juges ne sont pas à l’abri des erreurs, et c’est pour ça qu’en droit, il y a des voies de recours. Pour contester une décision lorsque qu’une autorité commet une erreur, donc nous ferons recours tant qu’il y a des voies de recours pour y voir clair sur cette affaire.

00:53:03.5    (Me Tirelli) Techniquement, si le Ministère public devait rendre une ordonnance de classement, il y aurait un recours qui pourrait s’exercer dans les 10 jours devant la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal vaudois. Techniquement toujours, si le Ministère public devait rendre une ordonnance de non-entrée en matière, c’est exactement la même voie de recours, devant la même autorité, dans le même délai.  

Bien entendu on peut continuer, on peut aller ensuite devant le Tribunal fédéral, et normalement ça devrait s’arrêter là tout de même, parce que le Tribunal fédéral a très à cœur ces questions d’enquête effective, de respect des parties plaignantes, mais, oui, s’il le fallait, il y a Strasbourg et il est absolument envisageable de saisir Strasbourg.

00:54:00.0    Bonjour. Achille Karangwa pour le journal Le Courrier. Si j’ai bien compris, il y a dans la vidéo un moment où on voit plusieurs communications du troisième agent, je crois, dans sa radio, et où vous mentionniez qu’il n’y a pas dans le dossier l’enregistrement correspondant à ce moment-là. En matière de procédure, comment ça se fait? Je prends vos hypothèses par rapport à ça.

00:54:28.0    (Me Tirelli) À nouveau, on n’est pas là pour émettre des hypothèses. Mais vous voyez à quel point il est important des fois de prendre le temps d’analyser toutes les pièces d’un dossier. Parce que moi, je suis juriste, comme le procureur. Il y a des choses que je ne vois pas. Mais lorsqu’on confie à des personnes qui sont des professionnels de l’enquête et de l’enquête avec des technologies qui permettent de mettre ensemble la vidéo et les audios que nous avons au dossier, eh bien, on se rend bien compte que lorsqu’on aligne tout ça sur un ordre chronologique, sur une time-line, eh bien on va voir qu’à un moment donné un intervenant parle dans sa radio, et il y a naturellement la conversation qui va avec. Et ce que les chercheurs de Border Forensics ont découvert, c’est que, oui, il y a des conversations où l’on voit un agent   ou un autre parler dans sa radio et garde la conversation qui va avec, mais il en a quelques-unes, deux, sauf erreur de ma part, à tout le moins, dans lequel on voit l’agent parler dans sa radio, et il n’y a aucun enregistrement qui corresponde dans le dossier. Alors précisément, fort de ce constat-là, dans le cadre des réquisitions de preuves que nous avons formulées hier, nous avons demandé au Ministère public justement d’obtenir ces audios manquants. Je n’émets aucune autre hypothèse que celle-ci, c’est-à-dire que, ben, on n’a toutes les pièces du dossier. Le Ministère public n’a pas dans son dossier toutes les preuves pertinentes, eh bien, il ira les chercher. Parce qu’à nouveau: savoir ce qui s’est dit à un moment donné – peut-être qu’il y a des communications qui sont émises sur l’état de santé de Nzoy à ce moment-là, peut-être qu’il y a une communication, j’en sais pas, avec une personne sur des questions d’ordre médical qui sont importantes, qui seraient aussi importantes pour la défense des agents. Donc il faut quand-même savoir ce qui s’est dit à ce moment-là. Donc, à nouveau, on n’envisage pas que le Ministère public, sachant qu’il y a un gap informationnel dans le dossier – maintenant, on le sait – eh ben, ne fasse rien. On en saura davantage lorsque le Ministère public donnera suite à cette réquisition, ce qu’il va sûrement faire.

00:56:46.2    Bonjour. Andreas Stüdli pour la Radio Suisse alémanique ici. Vous avez aussi remis en question le travail de la justice vaudoise ou du Ministère public en total – comment jugez-vous le fait qu’ils ont laissé instruire cette enquête par le même procureur qui a traité Mike Ben Peter et qui a laissé tomber l’accusation, quand-même dans le procès, Laurent Maye?

00:57:15.9 (Me Tirelli) C’est une question pour moi? alors vous savez, moi, je m’occupe uniquement du dossier de Nzoy, je ne m’occupe pas de, je ne sais pas, autoriser à me prononcer sur une bigger picture dans ce dossier. Mais peut-être que quelqu’un d’autre dans ce panel est plus habilité à répondre à cette question, donc je vais passer le micro.

00:57:37.5    (Philip Stolkin, traduit de l’allemand) En principe, les motifs de récusation s'appliquent dans le code de procédure pénale, y compris pour le Ministère public. Et nous considérons que ce point précis est extrêmement préoccupant. Il est pour nous incompréhensible que le même procureur qui a déjà tenté de bloquer une enquête de manière précipitée et qui, ensuite, lors d'une audience judiciaire, Mesdames et Messieurs, du Ministère public, que l'on y pense bien – le même procureur qui plaide l'acquittement lors d'une audience judiciaire, qui réussit ce paradoxe, doive enquêter dans ce cas dans une constellation similaire. Si nous partons donc du principe que les motifs de révocation s'appliquent également au Ministère public, nous considérons comme un signal extrêmement inquiétant le fait que ce même procureur, qui a manifestement tendance à poursuivre un voleur à l'étalage avec toute la puissance de l'État de droit et à plaider l'acquittement en cas de décès, veuille enquêter sur ce cas et anticipe effectivement la décision du tribunal et ait au moins déjà classé certaines parties. Nous considérons cela comme inquiétant et fortement contestable du point de vue de l'État de droit.

00:58:59.0    Carlos Hanemann de La République. En fait j’avais la même question, mais je voulais la poser à M. Tirelli. Est-ce que vous avez fait une requête de récusation pour le procureur en charge?

00:59:15.5 (Me Tirelli) Non, je n’ai pas fait de requête de récusation pour le procureur en charge, parce que, à nouveau, moi, je m’occupe de mon dossier, de Nzoy, simplement, et je ne suis pas autorisé à faire des analogies avec d’autres affaires. Les conditions pour demander la récusation d’un magistrat sont extrêmement strictes, il faut qu’il démontre véritablement une prévention, c’est-à-dire que son opinion est déjà faite sur le cas, qu’il y aurait une inimitié avec l’une des parties ou une amitié avec une autre des parties, donc stricto sensu juridiquement dans ce dossier, pour l’instant, je n’ai rien vu. Je peux en revanche envisager que dans l’hypothèse où avec des preuves telles que celles que nous voyons aujourd’hui ici, si la non-entrée en matière devait se confirmer, alors là. je me poserais très sérieusement un certain nombre de questions. Contre une ordonnance de non-entrée en matière, évidemment, je ferai un recours, et dans l’hypothèse où le recours devait être admis et retourné au Ministère public, eh bien, on tirera les enseignements de cette décision, et il est évident qu’un magistrat pour lequel avec un tel dossier seule une ordonnance de non-entrée en matière peut être rendue, ne pourra pas instruire la suite du dossier objectivement, si le dossier devait être renvoyé, de mon point de vue. Mais ça, c’est de la musique d’avenir, et j’espère que cet avenir ne se produira pas. J’espère que là, avec la compilation de preuves qu’on a faite, les choses sont suffisamment claires pour que nous puissions bénéficier d’une enquête effective et pour que ce dossier puisse un jour être jugé par un tribunal.

01:01:06.0    (David Mühlemann, traduit de l’allemand) Je voudrais simplement rappeler le contexte des droits humains et les obligations de la Suisse en la matière. Depuis plus de vingt ans, la Suisse est confrontée aux demandes de diverses institutions internationales de créer des organes indépendants de plainte en cas de violences policières. La Suisse a été condamnée à plusieurs reprises pour ne pas avoir mené une telle enquête indépendante. C'est une invitation aux autorités à voir quelles sont les possibilités de garantir cette indépendance. Et là, il y aurait une marge de manœuvre. Il est également très important de voir que cette indépendance ne doit pas seulement être garantie dans les faits, mais aussi en apparence. C'est aussi ce qui ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits humains.

01:02:02.6    (Philip Stolkin, traduit de l’allemand) Cela est d'ailleurs particulièrement vrai lorsqu'il s'agit d'un ministère public dans le même canton et qu'il existe les mêmes rapports hiérarchiques entre la police et le ministère public. C'est justement à ce moment-là que Strasbourg s'est prononcé à plusieurs reprises pour la nécessité d'un ministère public indépendant, d'un ministère public spécial. C'est précisément pour éviter les demandes d'acquittement du parquet. Mais cela se situe bien sûr à un niveau que la Commission doit examiner.

01:02:41.6    (Jean-François Schwab, Keystone-ATS) Ce sera peut-être difficile de répondre, mais avec ce que vous versez aujourd’hui au dossier, avec cette conférence de presse, quelles chances est-ce que vous estimez de pouvoir renverser la vapeur et, bon, vous n’êtes peut-être pas là pour faire des pronostics, mais est-ce qu’on arrive à évoluer, savoir s’il y a aura, entre 1 et 10, la chance de pouvoir avoir un procès en 2024 ou 2025. Est-ce que vous y croyez? J’imagine que oui, mais est-ce que vous pouvez juste vous exprimer là-dessus?

01:03:11.8 (Me Tirelli) Alors d’expérience, dans une affaire telle que celle-ci, j’évalue à 10 les chances d’avoir un procès, parce que dans ce genre d’affaires, précisément pour des crimes graves commis par des agents de l’État, investigués par des agents de l’Etat, avec la jurisprudence – qui est ce qu’elle est – du Tribunal fédéral et de la Cour européenne des droits de l’homme, il faut qu’il y ait un procès public. Donc je suis très confiant.

01:03:39.5    Fabiano Citroni de RTS Télévision. Question pour Me Tirelli: J’aimerais juste me concentrer sur le premier volet, celui de l’instruction pour homicide, pour meurtre. Donc le procureur s’apprête à classer ça. Il n’a pas encore formellement rendu sa décision, donc on n’a pas son argumentaire de détail. On peut imaginer qu’il retient la thèse de la légitime défense. Pourquoi, selon vous, sur ce volet-là, vous estimez que la légitime défense ne tient pas la route?

01:04:12.1 (Me Tirelli) Alors M. Citroni, la question est beaucoup plus ample. Je ne dis pas que la légitime défense ne tient pas la route. Je dis qu’à ce stade, il faut que cette affaire aille devant un tribunal, parce que la légitime défense, eh bien, ce n’est pas quelque chose de mécanique, à chaque fois qu’on a quelqu’un avec un couteau face à un policier, le policier est autorisé à tirer. C’est pas comme ça. On a vu des affaires comme ça, on a vu les arrêts qui ont été rendus par le Tribunal fédéral, mais, comme vous le savez, en requête de bons chroniqueurs judiciaires, chaque affaire est différente et les circonstances du cas d’espèces doivent chaque fois être évaluées de manière différente. Donc dans une affaire telle que celle-ci, la légitime défense dépendra des circonstances. Les circonstances, c’est quarte agents de police sur un quai de gare sur lequel il n’y a plus de passagers, face à une personne qui est psychologiquement dérangée, face à une personne qui est calme au début de l’intervention, face à une personne qui communique avec quelqu’un qui ne brandit pas un pistolet sur lui, et finalement il va y avoir une escalade dès lors que la police intervient rapidement, en courant, avec une arme entre les mains, alors que probablement pour une personne qui se trouvait sur les rails et qui vraisemblablement voulait mettre fin à ses jours, que sais-je, eh ben, ce n’est pas comme ça qu’il faut agir. Et toutes ces circonstances-là, eh ben, elles doivent être analysées, dans le cas. À ça s’ajoute que Border Forensics, comme je vous le disais, travaille aussi sur cette problématique-là – vous avez vu le travail sensationnel qui a été fait sur la base des éléments média, audio, vidéo. On a un fichier audio-vidéo maintenant, l’audio-vidéo parsème notre vie de tous les jours, c’est facilement compréhensible comme ça. Plutôt que d’ouvrir le fichier X.24, à tel moment, savoir quand c’est fait, ouvrir la vidéo 23 produite par Monsieur Y, sans savoir à quelle heure c’était, donc il faut aller regarder les métadonnées et ainsi de suite, ben ce travail-là, Border Forensics va le faire aussi pour la première phase du dossier, est en train de le faire. Et je peux vous garantir qu’à nouveau, ça va donner une autre lumière à l’affaire, et que la, précisément, on sera devant le tribunal, et le tribunal seul jugera si, dans de telles circonstances, eh ben, on est dans un cas de légitime défense ou pas.

01:06:48.0    (Antonio Fumagalli) Juste une question technique: Comment avez-vous fait de recueillir ces vidéos, ces témoignages? Est-ce que vous les avez eus à travers la police? Je n’imagine pas. Ou est-ce que vous avez d’autres sources?

01:07:02.4 (Me Tirelli) Alors tout ce qui compose le matériau de base, qui compose la vidéo, c’est ce qu’il y a dans le dossier du procureur. Donc tout est dans le dossier. On n’a rien utilisé d’autre que ce qu’il y a dans le dossier. Voilà. Et maintenant on peut lire et on peut comprendre ce qu’il y a dans le dossier beaucoup plus facilement qu’en ouvrant le dossier «pièce à conviction», puis ensuite ouvrir la première vidéo, puis ensuite ouvrir la vidéo dont on ne sait pas par qui elle a été prise et à quelle date, vous voyez, c’est comme ça que se présente un dossier. Et maintenant tout a été assemblé et on peut suivre avec le regard, on peut entendre ce qui se dit ou ce qui ne se dit pas, et on peut comprendre ce qui s’est passé. Et on pourra juger.

01:07:56.4    (Antonio Fumagalli) Est-ce que vous avez le droit, juridiquement, de nous montrer cela alors qu’il y a une enquête qui est en cours?

01:08:01.6    (Me Tirelli) Absolument, il n’y a aucun problème. Je peux vous montrer ça. Je suis uniquement tenu par la protection de la personnalité. Je ne dois pas faire en sorte que ces images qui sont vus portent atteinte à la personnalité des personnes qui sont représentées. Uniquement. Et il faut pas non plus porter atteinte à la présomption d’innocence, ce qui n’est pas fait. Donc c’est en ordre pour nous.

01:08:26.0    Cédric Jotterand de Morges, de 24 heures. Je n’aimerais pas répéter ou enfoncer une porte ouverte, mais ce que je ne comprends pas bien, et c’est la question que j’allais poser, c’est que vous dites sans cesse, on apporte une preuve, une nouvelle preuve, mais ces preuves vous ont été fournies par l’institution que vous critiquez. En fait, en général, quand il y a une preuve qui arrive, c’est quelque chose qui est nouveau, qui est révélateur. Et là, même si je ne conteste pas le travail exceptionnel que vous citez, il me semble avoir vu des travaux sur la chronologie, notamment au Téléjournal de la Télévision Suisse romande, qui expliquait aussi ces absences de timing, et je ne vois pas bien la preuve formelle que vous apportez dès l’instant où elle vous est fournie par l’institution que vous critiquez vous-même.

01:09:12.3    (Me Tirelli) Pour être parfaitement clair: Ce n’est pas une preuve, ce que nous versons au dossier. C’est une analyse des preuves. C’est une explication des preuves qui existent. Les preuves, ce sont les vidéos qui composent ce fichier audio-vidéo que vous voyez. Les preuves, ce sont les audios qui le composent. Et puis, ce que nous avons fait, parce que on an écrit que dur la base de telle vidéo on voyait ça, on entend le policier dire ci et ça. Par écrit, apparemment, ça ne fonctionne pas. Et simplement, on choisit une manière de présenter les choses qui soit beaucoup plus lisible lorsqu’il est question d’apprécier de la vidéo, d’apprécier de l’audio. Donc, non, ce n’est pas une preuve, c’est un document qui permet de comprendre les preuves qui sont au dossier.

01:10:02.2   (Philip Stolkin) Et surtout, cette analyse, c’est un avis d’expert. C’est toujours une preuve.

Maïna Aerni
01:10:25.1    Pas d’autres questions? Très bien. Alors je remercie Evelyn Wilhelm, Maître Tirelli ainsi que tous les autres membres du panel, Elio Panese également pour Border Forensics. Et je vous rappelle que Border Forensics a besoin de fonds pour continuer ses investigations. Vous trouverez donc le QR-code ici affiché. Je vous remercie pour votre présence et vous souhaite une belle fin de journée. Merci.

01:10:58.1 (applaudissements)

Maïna Aerni
Un dossier de presse est disponible à la sortie en français et en allemand.

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